
Un domaine agricole qui respecte la nature et la biodiversité
Un domaine agricole qui respecte la nature et la biodiversité
Pierre-Louis Mudy, la soixantaine bien passée, est un agriculteur soucieux de biodiversité. Une grande partie de son domaine est consacrée à une agriculture extensive qui ne recherche pas les rendements maximaux, mais plutôt l’équilibre naturel et la qualité du paysage. Il cultive également le triticale, une céréale fourragère avec laquelle il nourrit son troupeau de vaches « blanches » meilleures laitières que nos « noires » d’Hérens.
« Les mangeurs de blé… ». C’est ainsi que les habitants de Montana-Village étaient surnommés. C’est que, jadis, la vaste zone entre Montana et Chermignon était occupée par des champs de céréales (seigle, froment…). Aujourd’hui, ces cultures ont disparu, supplantées par l’agriculture intensive, la progression de la forêt et l’urbanisation. À l’exception notoire des champs cultivés par Pierre-Louis Mudry qui explique : « Ces surfaces avaient été laissées à l’abandon. Au départ, nous étions quatre agriculteurs à avoir relancé les céréales. Nous avons acquis une moissonneuse-batteuse et opté pour le triticale, un hybride entre le blé et le seigle qui sert à l’affouragement du bétail. Cela nous donne un excellent concentré pour l’alimentation de nos vaches. »
La bugrane naine, une petite fleur rare et fort belle qui croît au Châtelard, près de Montana-Village. © Yann Clavien
Flore messicole
L’utilité de ce triticale n’est pas seulement agricole, mais environnementale. Ces champs, en effet, offrent un biotope favorable à toute une flore liée aux champs, soit des espèces messicoles, comme le coquelicot ou le bleuet. Mais on y trouve aussi certains adonis, le pied-d’alouette des champs, le jonc à fruits globuleux ou l’androsace, des plantes rares dont certaines ne se trouvent que dans notre canton. « 35 des 40 espèces messicoles recensées en Suisse sont présentes en Valais parmi lesquelles 24 ne se trouvent que dans notre canton », souligne Yann Clavien, biologiste au Service cantonal des forêts, des cours d’eau et du paysage.
Un champ coloré de milliers de coquelicots et de bleuets.
Prairies sèches, mais riches….
L’exploitation de notre agriculteur compte également un certain nombre d’hectares de prairies sèches qui étaient laissées à l’abandon. Or, elles offrent une grande richesse en population d’insectes, papillons et de plantes intéressantes. Il en va ainsi, par exemple, de l’armoise du Valais ou de la bugrane naine. Des espèces rares recensées au Châtelard, dans un secteur entretenu par Pierre-Louis Mudry. (cf. « Trois questions à… » ci-après.)
L’armoise du Valais, comme son nom l’indique, est unique dans notre canton. © Yann Clavien
« J’utilise encore le râteau… »
L’agriculteur doit consacrer au moins le 7% de sa surface d’exploitation aux zones de promotion de la biodiversité. Il doit aussi respecter un certain nombre de contraintes, telles que l’interdiction de l’arrosage et de l’épandage d’engrais. De plus, on exige une fauche tardive (pas avant le 1er juillet, par exemple) afin de préserver les espèces. Ces exigences figurent dans un cahier des charges que l’exploitant doit respecter. Et de nous montrer le carnet dans lequel il a noté toutes les données d’exploitation : dates des interventions, rendements… Il faut aussi préciser que ces prairies sont peu mécanisables, ce qui ne facilite pas le travail. « Dans mes prés, j’utilise encore le râteau… », lance l’agriculteur.
Revenus insuffisants
Sans irrigation ni engrais, les rendements sont faibles. De plus, l’absence de rotation des cultures conduit à un appauvrissement de la fertilité des sols. C’est dire que les revenus tirés de ces cultures sont insuffisants : ils permettent juste de payer la semence. Sans les aides financières de la Confédération et du Canton – au travers des paiements directs – l’agriculteur ne pourrait donc survivre. Ces paiements rétribuent des prestations d’intérêt général. Ils apportent des contributions pour le maintien de la diversité des espèces dans des zones de haute qualité écologique.
Satisfactions
Par rapport aux rendements de l’agriculture intensive de plaine, « j’ai parfois l’impression de travailler dans le vide, avance Pierre-Louis Mudry. Pour continuer, il faut avoir le virus ! » Mais le métier procure des satisfactions comme la beauté d’un paysage bien entretenu et la contribution au maintien d’une flore et d’une faune rares. « Mais il est vrai que c’est l’œil avisé des spécialistes et biologistes qui est intéressé. En ce qui me concerne, je n‘ai pas trop le temps de m’y arrêter ! » Autre intérêt : cette agriculture extensive concourt au maintien du paysage, un atout pour le tourisme doux. La ferme de Mudry reçoit parfois des visites de touristes, des enfants notamment, tout émerveillés de caresser des veaux et de boire du lait frais qui ne vient pas du supermarché !
Légende photo : Pierre-Louis Mudry: un agriculteur respectueux des ressources naturelles et des paysages, dans son champ de triticale, une céréale que l’agriculteur a remise en exploitation. © Jean-Michel Bonvin
Des «brunes» et du fromage
Pierre-Louis Mudry possède un cheptel de 20 têtes de bétail. « J’ai opté pour des brunes suisses robustes et excellentes laitières. Elles ont aussi l’avantage de bien s’adapter à la montagne, ce qui est important puisqu’elles passent l’été à l’alpage de Pépinet. »
L’agriculteur tire une partie de ses revenus de la fabrication du fromage. Il a donc tout naturellement préféré le lait à la corne, la race d’Hérens étant combative, mais moins productive… Il faut savoir, en effet, que la majorité des « noires » à l’alpage ne donnent que peu de lait, les éleveurs jouant la carte de la reine à cornes.
Fête de la désalpe
Ces fromages, vous pourrez les déguster, lors de la grande fête de la désalpe qui se tient au cœur de la station de Crans-Montana le 17 septembre. Au programme, défilé des vaches, musique folklorique, animations et surtout dégustation de fromages à raclette. Une occasion unique de comparer les excellents produits des alpages de Corbyre, Colombire, Pépinet, cave du Sex, Merdechon, Mondralèche et Er de Lens.
3 questions à Yann Clavien, biologiste au Service cantonal des forêts, des cours d’eau et du paysage
Quelle est la situation du Valais en matière de maintien de la biodiversité et d’agriculture respectueuse de la nature ?
90 % des prairies et pâturages secs de notre pays ont disparu en un siècle. C’est le résultat conjugué de l’intensification des pratiques agricoles, de l’urbanisation et de l’avancée de la forêt. Le Valais a une responsabilité particulière du fait que c’est le 2e canton, après les Grisons, le plus pourvu en surfaces de prairies sèches, soit environ 4000 ha, répartis en 370 objets dans le canton. Pour préserver ce patrimoine unique, les synergies entre agriculture et protection de la nature sont capitales.
Que fait-on pour promouvoir ce type d’agriculture ?
Pour préserver ces milieux sensibles, on fixe légalement, par contrats, les conditions d’exploitation, soit surtout des restrictions au niveau de la fumure et de l’arrosage. En contrepartie, des soutiens financiers sont apportés par la Confédération et le Canton. Ces aides compensent les pertes de rendements et encouragent l’exploitation de ces surfaces parfois marginales.
Quelles sont les espèces les plus emblématiques de notre canton ?
Les prairies et pâturages secs sont composés de nombreuses espèces spécialisées, dont plusieurs se trouvent en Suisse exclusivement ou quasi exclusivement en Valais. Parmi ces espèces, on peut citer la bugrane naine, l’armoise du Valais et l’odontitès jaune, toutes visibles au Châtelard, près de Montana-Village.